Est-il besoin de présenter Blanche-Neige, la jeune et belle princesse haïe de sa marâtre? Cette jeune beauté qui trouve refuge au cœur d’une forêt dans la maison des sept nains après avoir échappé au chasseur mandaté par sa marâtre pour la tuer mais qui succombe après avoir croqué dans la pomme empoisonnée donnée par cette même marâtre? Eh bien sachez que ce conte de 1812 des frères Grimm, popularisé par Walt Disney en 1937 et adapté à de nombreuses reprises depuis, a été revu et corrigé par le réalisateur basque espagnol Pablo Berger après neuf ans d’efforts!
La genèse du projet Blancanieves
C’est en 2005 que Pablo Berger a l’idée de transposer le conte des frères Grimm dans l’Espagne des années 1920. Rien d’extraordinaire jusque là me direz-vous mais lorsqu’il détaille son projet aux différents producteurs qu’il rencontre, ceux-ci lui opposent une fin de non-recevoir. La raison de ces multiples refus? Pablo Berger veut tourner un Blancanieves muet et en noir et blanc, afin de rendre hommage à ce qu’il appelle le vrai cinéma, le cinéma qui ne ment pas. Pour lui en effet, tout se passe dans le regard des acteurs: les yeux en disent bien plus que les mots.
Si vous écoutez Pablo Berger parler de cinéma, vous comprendrez vite que c’est un amoureux du 7ème art. Il en vénère les origines, ces films muets dont la puissance et la beauté résident précisément dans le silence offert au spectateur, amené à s’immerger totalement dans l’univers du réalisateur en interrogeant les yeux des acteurs. Admirateur de Luis Buñuel, Berger considère l’arrivée du parlant au cinéma comme une intrusion, une invasion: les dialogues prennent peu à peu toute la place, deviennent des personnages à part entière et finissent par démystifier le travail des acteurs et du réalisateur.
Pablo Berger se soucie peu des obstacles financiers et des contraintes techniques lorsqu’il se lance dans un projet. Son premier film, Torremolinos 73, sorti en 2003 et qu’il a écrit, réalisé et produit, il a mis cinq ans à le faire et il en est fier. Pour Blancanieves, il a certes eu plus de difficultés mais heureusement pour lui, le succès mondial rencontré par The Artist, le film muet en noir et blanc de Michel Hazanavicius sorti en 2011 et qui, soit dit en passant, a lui aussi mis quelques années avant de se concrétiser, a rassuré bon nombre d’investisseurs, même s’ils ne se sont pas non plus précipités.
L’écriture, la réalisation et une grande partie de la production de Blancanieves ont donc été assurées par Pablo Berger lui-même, le reste étant géré par un certain nombre de sociétés de production (dont Arte et Canal+) et les producteurs Ibon Cormenzana et Jérôme Vidal, faisant de Blancanieves un film hispano-français.
Cependant, si la comparaison avec The Artist s’impose du fait que les deux films sont muets, en noir et blanc, s’intéressent aux années 1920 et sont sortis à environ un an d’écart, elle s’arrête là car les histoires racontées, l’hommage rendu et les clins d’oeil donnés n’ont rien en commun.
Pourquoi Blancanieves n’est pas The Artist
Le noir et blanc et le silence n’ont pas la même valeur.
L’absence de couleurs et le silence dans le film de Michel Hazanavicius font partie intégrante de l’hommage appuyé que le réalisateur français rend au Hollywood du début du XXème siècle. The Artist recréée le grand bouleversement du cinéma américain à travers l’histoire d’amour contrariée entre une star déchue du cinéma muet et une étoile montante de l’ère du parlant. L’histoire romantique, le noir et blanc, le silence, les personnages un peu caricaturaux, les situations: tout est réuni pour recréer un film comme ils se faisaient du temps du muet, ce qui est le but de The Artist.
Rien de tout cela dans Blancanieves. La dimension muette et non colorée du film de Pablo Berger correspond tout simplement à la vision de ce que le réalisateur appelle la pureté du cinéma. Pour lui, seule l’image compte. Or, quel meilleur moyen de la mettre en valeur que de supprimer les dialogues? L’absence de couleurs permet aussi à sa transposition du conte des frères Grimm d’avoir et de garder une dimension atemporelle. Il y a aussi la dimension symbolique de ces deux couleurs opposées: le noir pour le mal, la souffrance et le deuil (la marâtre est souvent vêtue de noir), le blanc pour la pureté et l’innocence (Carmencita/Blancanieves est souvent habillée en blanc).
La base scénaristique n’est pas la même.
The Artist est un scénario original qui raconte une histoire d’amour entre un acteur du muet incapable de s’adapter et dont la carrière décline rapidement et une étoile montante du cinéma parlant. Malgré les obstacles que leur amour rencontre, on s’attend néanmoins à une fin heureuse et c’est bien ce qui se produit à la fin.
Blancanieves est l’adaptation du conte Blanche-Neige des frères Grimm, ou plutôt l’interprétation que fait Pablo Berger du conte des frères Grimm. Quoiqu’il en soit, la base existait déjà et était connue de tous, sinon dans sa version originale, du moins dans sa version Disney quelque peu édulcorée. Par ailleurs, 2012 a été l’année des adaptations de Blanche-Neige avec deux versions différentes: une assez sucrée avec Julia Roberts et l’autre plus sombre avec Charlize Theron.
Pablo Berger s’est donc retrouvé confronté au problème suivant: comment se démarquer d’un sujet déjà traité deux fois la même année et enthousiasmer le public avec une histoire déjà vue et connue?
Blancanieves, une ode à l’Espagne.
Bien avant les deux versions américaines sorties en 2012, Pablo Berger savait que sa Blanche-Neige serait espagnole. Tout en respectant l’esprit du conte des frères Grimm dont l’univers est sombre, son film est truffé de références culturelles mettant en valeur l’Espagne sans jamais sombrer dans les clichés.
L’action se passe à Séville, capitale de la tauromachie et du flamenco. La mère de Blancanieves est danseuse de flamenco et son père est torero, deux traditions culturelles qui sont associées à l’Espagne aux yeux des touristes. Pourtant, le film n’est pas une succession de scènes de danse et les passages de corridas sont filmés a minima: on ne voit pas la mise à mort des taureaux par exemple. La corrida et le flamenco se mélangent lorsque Blancanieves torée à son tour.
Les nains font aussi référence à l’histoire de l’Espagne. Figures importantes de la Cour d’Espagne au Siècle d’Or où ils amusaient les rois et les reines, Diego Velásquez les a immortalisés avec les célèbres Meninas, tableau exposé au musée du Prado de Madrid.
De même, la tradition consistant à se faire photographier avec les morts, comme le font de nombreuses personnes avec le cadavre du torero Antonio Villalta, est typiquement espagnole, bien qu’assez macabre. Elle vient renforcer la dimension sombre du conte des frères Grimm.
Pourquoi Blancanieves n’est pas tout à fait Blanche-Neige.
C’est sans doute la meilleure surprise du film: cette version de Blanche-Neige est à la fois proche et différente du conte, tout en étant très moderne.
On retrouve sans difficulté les personnages centraux et les principales péripéties du conte: Blanche-Neige, la marâtre, les nains, la tentative d’assassinat de Blanche-Neige, l’adoption par les nains, la pomme empoisonnée, la jalousie…
En revanche, le tout est subtilement modifié et porte l’empreinte du réalisateur.
Ainsi, Blanche-Neige ne s’appelle pas Blancanieves dès le départ. C’est une enfant humaine, intelligente et gaie qui se transforme en jeune femme forte et en torera sublime. Elle n’est pas naïve et passive comme dans le conte, elle n’attend pas son prince charmant, prince qui d’ailleurs n’existe pas dans le film de Pablo Berger ou plutôt qui prend la forme du nain Rafita, celui qui sauve Blanche-Neige de la noyade…
Quant à la marâtre, sa méchanceté et ses tendances dominatrices deviennent cupidité et sado-masochisme, dans un clin d’oeil à Pedro Almódovar. Le miroir dans lequel elle se regarde dans le conte pour savoir si elle est la plus belle est remplacé par… les photographes et les magasines dont elle cherche à capter l’attention en épousant Antonio Villalta, le célèbre torero.
Enfin, on voit même dans les dernières scènes du film une jeune femme payer pour pouvoir embrasser Blancanieves, sans compter les nombreux hommes qui défilent pour faire de même…
Avec deux femmes fortes et indépendantes en héroïnes et des hommes impuissants à changer le destin (Antonio est tétraplégique, Rafita ne peut modifier les termes du contrat qui lie Blancanieves à son agent véreux et cupide), le masochisme traditionnel des Espagnols est mis à mal avec un certain humour noir dans le film de Pablo Berger et c’est précisément cela aussi qui inscrit cette version du conte dans la modernité.
La transposition de Blancanieves
L’histoire commence à Séville en 1910, à la Plaza de Toros La Colosál. Antonio Villalta est à l’apogée de sa carrière de torero: il s’apprête à affronter six taureaux différents au cours d’une corrida à laquelle assiste sa femme, la belle Carmen de Triana, une danseuse de flamenco qui est sur le point d’accoucher de leur premier enfant. Tout se déroule bien jusqu’à ce que le flash malheureux d’un photographe impatient détourne l’attention d’Antonio du dernier taureau qu’il est sur le point d’exécuter. Celui-ci se rue alors sur le torero et l’encorne sous les cris horrifiés de la foule et de sa femme qui perd les eaux. Transportés tous deux à l’hôpital religieux le plus proche, ils ne connaissent pas le même sort: Carmen meurt en donnant naissance à sa fille tandis qu’Antonio survit mais est désormais tétraplégique.
C’est au cours de l’opération que subit Antonio que l’on voit pour la première fois celle qui va devenir la marâtre mais qui n’est pour l’instant qu’une infirmière appelée Encarna. Elle sourit en découvrant qu’Antonio Villalta est très riche et en apprenant que sa femme est morte en couches…
Ayant appris le décès de son épouse bien-aimée et découvert en même temps qu’il ne pouvait plus bouger, Antonio se détourne de son enfant lorsqu’elle lui est amenée par Doña Concha, la mère de Carmen de Triana, qui était présente aux côtés de sa fille lors de la corrida puis pendant son accouchement.
Peu à peu, Encarna se rend indispensable auprès d’Antonio au point que lorsque celui-ci sort enfin de l’hôpital, c’est elle qui pousse son fauteuil roulant et s’adresse aux journalistes qui attendent le torero. On comprend alors que c’est elle qui régente la vie d’Antonio, celui-ci ne réagissant pas pendant toute la scène.
Doña Concha le comprend aussi et devine que sa petite-fille Carmencita (petite Carmen en espagnol) ne sera pas la bienvenue chez son père et sa nouvelle femme. Elle décide donc de l’élever.
Devenue une jolie petite fille, heureuse et gaie, Carmencita aime danser le flamenco comme sa mère. Seul son père qu’elle ne connaît que par des portraits lui manque et elle espère le voir le jour de sa communion. Malheureusement ce jour-là, c’est sa grand-mère qui meurt en dansant le flamenco avec elle sur la chanson de Carmen de Triana diffusée par le gramophone que Carmencita a reçu en cadeau.
Désormais seule, Carmencita est envoyée en Andalousie chez son père qu’elle n’a toujours pas vu. C’est Encarna qui la reçoit: elle la fait pénétrer dans la maison, lui montre le tableau d’Antonio qui orne le palier menant au premier étage avant de lui interdire l’accès à l’étage et de la mener rudement à sa « chambre », la réserve à charbon. Après lui avoir coupé les cheveux, Encarna affecte Carmencita à toutes les tâches les plus difficiles de la maison pendant qu’elle-même profite des plaisirs de la vie et de la richesse qu’elle a acquise par son mariage.
Un jour, en cherchant Pepe, son coq domestique, Carmencita va jusqu’à l’étage dont l’accès lui était défendu. C’est là qu’elle découvre son père, endormi dans son fauteuil et qui, éveillé en sursaut par Pepe qui lui saute dessus, fait tinter la clochette accrochée à son fauteuil en tirant avec ses dents sur une ficelle placée à hauteur de sa bouche. Cette clochette permet d’avertir Encarna qu’il a besoin de quelque chose. Lorsque celle-ci arrive, en colère car elle a dû interrompre ses essayages, il prétend avoir soif, ayant compris que l’enfant est sa fille. Encarna lui sert alors un verre d’eau mais au lieu de le lui faire boire, elle le lui jette à la figure. Carmencita, cachée, assiste à la scène. A partir de ce moment-là, elle retourne régulièrement voir son père, après avoir vérifié qu’ Encarna était bien occupée ailleurs.
Les jours passent, père et fille se découvrent et Antonio apprend à Carmencita les principes de la tauromachie, notamment le fait de ne jamais quitter des yeux le taureau, ce que lui a fait et qui lui a coûté sa mobilité. Tout s’arrête lorsqu’en revenant d’une partie de chasse, Encarna comprend qu’ils se voient en cachette. Elle invite Carmencita à manger avec elle le soir-même: le plat servi est Pepe, le coq de Carmencita. Encarna dit à l’enfant horrifiée que si elle désobéit encore, c’est Antonio qui mourra.
Le temps passe. Carmencita devient une belle jeune fille. De son côté, Encarna se lasse d’attendre la mort de son époux: elle précipite le fauteuil d’Antonio du haut de l’escalier. Elle envoie ensuite Carmencita loin du domaine cueillir des fleurs pour la tombe de son père. La jeune fille est accompagnée de l’amant d’Encarna qui est chargé de tuer la fille du torero. Après une course poursuite dans la forêt, celui-ci parvient à ses fins en noyant Carmencita. Cependant, un nain, Rafita, tire la jeune femme de l’eau et la ramène à la vie.
Ne se rappelant plus de rien, Carmencita est adoptée par Rafita et sa famille de nains toreros qui la baptisent Blancanieves. Un jour, afin de protéger l’un de ses compagnons nains qui se faisait piétiner par un taureau sous les rires de la foule, Blancanieves se précipite dans l’arène et se met à toréer. C’est à partir de ce moment-là que sa réputation grandit: elle est même engagée pour toréer à La Colosál de Séville et fait la couverture du magasine Lecturas, à la place d’Encarna qui avait tout fait pour y figurer, un an après la mort d’Antonio.
Reconnaissant Carmencita, Encarna se rend à Séville où la jeune fille s’apprête à toréer. Grâce à l’ami et agent d’Antonio qui l’a lui aussi reconnue et est venu lui parler avant son entrée dans l’arène, le bruit se répand que Blancanieves n’est autre que la fille d’Antonio Villalta, le grand torero…
Et je vous laisse aller voir la fin par vous-même!
Les récompenses obtenues par Blancanieves
Lors de la cérémonie des Goya 2013, l’équivalent des Césars et Oscars où il était nominé dans 18 catégories, le film de Pablo Berger a raflé 10 statuettes, dont certaines des plus prestigieuses:
-meilleur film,
-meilleur scénario original,
-meilleure actrice pour Maribel Verdu qui joue Encarna,
-révélation féminine pour Macarena García qui joue Blancanieves,
-meilleure chanson originale,
-meilleure bande originale.
La carrière internationale de Blancanieves ne connaîtra cependant peut-être pas le même succès que The Artist en 2012: le film de Pablo Berger n’a pas été retenu pour les Oscars 2013 bien qu’il ait été très bien accueilli au festival de Toronto. Il a cependant pris sa revanche au Festival du Cinéma de San Sebastian en septembre 2012 en remportant le Prix spécial du jury et le Prix d’interprétation féminine.
Affaire à suivre…
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